16x04 - Chupaquhébreux
« Soit ils mentent, soit ils sont stupides »
Je sentais l’épisode facile, l’épisode ridicule avec le Cartman en mode automatique, le Kyle en mode « Cartman, t’es méchant, c’est pas bien »
C’était un peu ça, oui, au début du moins, ça s’annonçait comme ça. Et puis au fur et à mesure je me suis aperçu, du moins avec la fin, que je venais d’assister à ni plus ni moins que… l’épisode le plus fin que South Park a produit ces dernières années. Rien que ça.
C’est vrai que l’épisode, dans son format, est très déroutant. C’est disjoint, ça part dans tous les sens, ça manque d’humour frontal, et ce malgré d’excellentes scènes et de mémorables répliques – comme toujours dans South Park – mais ça n’est pas ce qui marque le plus dans l’épisode. On peut discerner une forme de platitude aussi, voire de la confusion vis-à-vis de la fin. Mais il n’en est rien. Et je vais m’atteler à vous expliquer ici pourquoi.
Déjà – tous les commentaires qui disent « HAHAHA C’est un épisode qui nique bien les religions passque voilà quoi, c’est trop de la merde!!! » - NON. Ce n’est pas un épisode qui se moque des religions. TOUT-FAUX. Je ne fais pas mon professeur, je ne fais pas mon grand chef, c’est juste vrai. Quelle religion est stigmatisée ici ? Aucune. Et toutes à la fois. Vous l’avez alors compris, il s’agit d’un épisode qui traite non pas de religion mais qui traite d’intolérance religieuse entre religieux ainsi que de l’usage des superstitions et des ragots pour décrédibiliser et ostraciser une religion de manière générale. Grosse, grosse nuance.
Dans cet épisode donc, Cartman monte un habituel plan pour se moquer de Kyle, puisque cette année, la Pâque Juive (Pessa’h) tombe la même semaine que la Pâque Romane (avec les œufs quoi). Ce qui aurait pu être un épisode relativement prévisible va tourner court pour Cartman. Il va en effet inventer un monstre, le Jewpacabra (mélange sur Jew-juif, et Chupacabra. Tiens, saviez-vous que Chupacabra signifie en espagnol « Suceur de chèvres » ? Non ? Maintenant vous savez !) qui est censé foutre en l’air le ramassage des œufs organisé par une chaîne de magasins à South Park. Une fois le plan monté, Cartman n’a plus qu’à enrôler Butters, les dirigeants du magasin et des fous de cryptozoologie et hop, son plan aurait dû se dérouler comme prévu, dispensant çà et là ses médisances mensongères. Ce qui poussera Kyle à dire que si ces gens croient vraiment ce que dit Cartman, ils sont soit des menteurs, soit des idiots. Un peu comme une certaine catégorie de personnes qui dispensent des préjugés religieux. Menteurs ou stupides.
Et de toute façon, c’est ça ! Jew-Pacabra, c’est une créature cataloguée folklore juif invisible de Cartman. Sauf que de Jewpacabra, il n’y a pas ! Cartman avouera lui-même l’avoir inventé. Là où c’est fin c’est que le plan se retourne contre lui quand les cryptozoologues l’effraient en étant plus bêtes que lui encore (Bobo entrera à coup sûr dans l’histoire) et en disant à Cartman des bêtises plus grosses que lui encore. Du coup Cartman flippe, et la superstition se retourne contre lui.
Car ce n’est que ça ! Des superstitions, des non-dits. Cartman se sent menacé dans son for intérieur. Il a conscience que cette « menace juive » qu’il a toujours craint (avec force stupidité au cours des années, cf le film dans lequel il croit que Juif est une insulte au même titre que Con ou Enfoiré), a cette fois-ci une tangibilité, une réalité. C’est du sérieux cette fois, son baratin de raciste de bas-étage ne va pas le sauver d’une réalité qu’il croit imminente.
Les périls de la paranoïa, quoi.
Kyle est édifiant pendant tout l’épisode. Il semble complètement dans son élément, jamais inquiet, jamais surpris par ce qui arrive à Cartman ou par ce qu’il fait. On comprend donc que Kyle représente la cible de ces attaques. Son comportement est exemplaire : D’abord furieux, puis excédé, puis lassé, puis carrément indifférent. Comme le « raciste », comme « l’intolérant » lui apparaît complètement stupide, nuisible, inutile, grande-gueule, sans fond ni forme, sans intérêt aucun… Bah le visé finit par s’en foutre.
Pendant ce temps-là, le raciste a besoin d’aide. Le visé est son seul ami dans les parages, mais même quand le raciste appelle, il continue à mentir sans le vouloir. South Park pratique une ambivalence à tous les niveaux. Cartman est un salaud mais ça n’est pas sa faute. Il est influencé par son manque d’éducation et de savoir, par ce qu’il entend, croit entendre ou croit savoir. Son racisme primaire l’oblige à formuler toutes sortes de défenses toutes plus stupides les unes que les autres pour se « protéger ». De quoi, de qui… Probablement de la peur d’être démuni face à une menace qu’on lui promet mais qu’il ne comprend pas. Kyle a été insulté, brimé trop de fois. Pour autant, cette situation va mettre sa foi et sa conscience à l’épreuve. Tous deux, a priori sortiront de l’épisode grandis, en quelque sorte.
Finalement Cartman, trahi par les cryptozoologues, va se retrouver à faire un trip aux tranquillisants enchaîné à un parpaing. Un trip assez hilarant, je sais pas quelle scène m’a fait le plus rire… Cartman habillé en égyptien, la chanson débile, Cartman qui imagine que le pharaon est son père (what the…), les fléaux d’Egypte qui s’abattent, le coup du sandwich (oh mon dieu le coup du sandwich !!), les agneaux, les enfants dont les têtes explosent… C’est du grand n’importe quoi ! Surtout, que de références bibliques. Ce n’est pas forcément pour étayer quelque rivalité religieuse, ou alors pour dire que ça date vraiment d’un autre temps et d’une autre époque, mais ce flashback biblique bizarre a le mérite de donner une forme tangible aux idioties de Cartman. Comme il ne comprend pas bien ce qu’on lui raconte à l’église, il interprète tout de la mauvaise façon. L’épisode retranscrit ainsi très bien le pouvoir des mauvaises influences extérieures sur les enfants – comme sur les gens de manière générale. Qui étaient des enfants eux-mêmes. Et qui, du coup, ont appris ça aussi comme ça. On peut aller très loin comme ça, l’épisode est vraiment, vraiment très profond et très intéressant. Et drôle, hein ! Ça reste du South Park.
Et puis Kyle, guidé par sa conscience, sauve Cartman de son enchaînement dans le parc (sur une magnifique musique par ailleurs. Un moment presque émouvant, dites-donc)
La fin est magnifique. C'est-à-dire qu’on a droit à des excuses de Cartman – qui même dans son repentir et dans sa prise de tête passe encore pour un trouble-Pâques – un Cartman apaisé qui dit carrément à Kyle qu’il comprend mieux la foi juive et qu’il la soutient à présent. L’échange le plus parlant est celui-ci :
Cartman : « I’m not lying ! »
Kyle : « I know you’re not. »
Or rappelons-nous du precepte de ce début d’épisode : Soit ils mentent, soit ils sont stupides. Sous-entendu : Je sais que tu ne mens pas, tu es juste stupide, alors je te pardonne, camarade.
Je veux dire… C’est fameux. C’est magnifiquement fait. Kyle absolument pas dupe, Kyle en paix avec sa conscience. « Je l’ai sauvé, il fait genre il a changé mais je sais qu’un jour il reviendra et ce jour-là, je serais-là pour le combattre ». Une très belle allégorie du combat contre l’intolérance. Et un épisode d’une finesse métaphorique intense. Un grand bravo à South Park pour cette nouvelle perle. Un épisode qui semblait cousu de fil blanc et qui finalement nous apporte un message très subtil mais aussi très intelligent. Une perle à mettre au compte de cette saison 16 qui commence relativement bien… ma foi.
Les plus :
+ L'étonnante complexité métaphorique
+ L'ensemble très bien mené, notamment le message sur l'ensemble de l'épisode
+ Probablement le moins drôle mais le meilleur Cartman/Kyle depuis des lustres
+ Le rêve de Cartman
Les moins :
- Peu drôle sur l'ensemble
- Peut-être pas forcément accessible et divertissant
Note / A+
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